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Les Art de la Tabla Décoration Et Service

On ne peut se proposer d' énoncer des règles fixes pour la composition et la décoration d'une table ; comme toute manifestation d'une civilisation raffinée, elles échappent aux sévérités d'une étiquette rigoureuse et refléteront toujours la personnalité de la maîtresse ou du maître de maison, son goût, sa fantaisie et aussi son éducation. Il n'est pas nécessaire d'insister sur le fait que la table dressée doit être en harmonie avec le cadre de la salle à manger, et respecté, sans trop de rigueur, une certaine unité de style. Elle sera à la mesure de la réception que l'on se propose de donner : il y a là une question de tact et de discernement qui ne sont pas du domaine de cette étude. 

Il existe, 'néanmoins, par respect des traditions françaises autant que par souci de qualité et d'élégance, quelques prescriptions fondamentales qui régissent l'ordonnance d'une table et le déroulement de son service. Les photographies de quatre tables, conçues à dessein dans un esprit différent, illustreront la première partie de cet essai, consacré à la décoration. 



Composition et Décoration de la table

On apportera au choix de la nappe un soin particulier puisqu'elle va être le support et, si l'on peut dire, la toile de fond de l'ensemble. Blanche de préférence pour le soir, elle peut être unie, damassée, incrustée de dentelles ou broderie anglaise ou encore ornée de broderies rehaussées de fils d'or, avec les serviettes assorties. Les napperons individuels seront réservés pour les déjeuners d'intimité et l'on évitera de toute manière les nappes trop chargées. 

Une règle d'élémentaire confort veut qu'on laisse suffisamment d'espace entre les convives pour que chacun soit à l'aise. La mesure va en être donnée par la distribution des assiettes. Celles-ci sont, pour le soir, de porcelaine blanche, ronde ou à contours, à bordure dorée ou à décor discret. Si l'on possède un service ancien, il faut qu'il soit approprié à l'esprit de la table et au style de l'argenterie. Une seule assiette plate par personne, que l'on commence ou non par un potage ou un consommé : nous verrons plus loin comment on sert le potage. En aucun cas, deux assiettes ne seront superposées. 

On aime que les verres soient de cristal mince, à pied. La raison qui interdit le verre sans pied parce que la main y éteint les vibrations lumineuses, vaut aussi contre les marbrures, gravures, facettes, coloriages, etc. La matière du verre ou du cristal doit être comme absente : la plus transparente est la meilleure. Le verre digne d'un grand vin fait pardonner sa présence en la laissant oublier. 

Le bon verre à pied doit être de bonne grandeur, fine, légère, équilibrée, bien assis. La coupe ne doit pas s'évaser, mais au contraire, tendre à se rétrécir en tulipe, la jambe, comme une jambe de femme élégante, n'a que faire des vains ornements qui dérangent la ligne. Ni carrée, ni hexagonale, ni octogonale, elle reste sobrement cylindrique. La hauteur totale du pied et de la jambe doit être un peu inférieure à celle de la coupe proprement dite. Le pied est rond.  est peut-être le verre idéal. La substance en est légère. Elle a, tout en restant solide, la finesse du cheveu et le verre gardent, dans sa sveltesse, la puissance de l'équilibre. La coupe en forme de tulipe, sans exagération de la fermeture incurvée, est portée sur une jambe de proportion irréprochable. 

Rien ne gêne le mouvement giratoire, la caresse de la main, le spectacle pour les yeux et la béatitude de la narine. Aucun ornement, aucune gravure, aucune bavure... Tout pour le vin ! 

Il ne faut jamais remplir au del à de la moitié du verre. Il vaut mieux rester au-dessous, très au-dessous, plus près du tiers que de la moitié. Nos grands vins de son doués d'esprits divers et de flatteuses nuances qu'il convient de ne pas atténuer par un verre trop petit ou trop plein. Laissez le petit génie au sortir de la bouteille prendre toutes ses aises et s'épanouir librement, il saura vous en récompenser. 

Les verres sont dispos és en ligne devant les assiettes, ou légèrement de biais, le plus grand à gauche pour l'eau, et, par ordre décroissant, autant de verres à vin qu'il sera servi de crus différents pendant le repas. Pour le champagne, ni coupe, ni flûte, aussi impropre l'une que l'autre à sa dégustation, mais un verre assez grand, en retrait des autres. Pour un dîner de grande réception, ce dernier peut être remplacé par un gobelet de vermeil. 

L'argenterie sera toujours le plus beau ornement d'une table ; sa qualité és, son poli, un choix et une disposition heureuse des pièces vont assurer à la décoration son éclat et sa classe. L'ordonnance des couverts est la suivante : à gauche de l'assiette, la fourchette de table, puis la fourchette à poisson, à condition naturellement qu'on en serve ; à droite, le couteau, lame tournée vers l'assiette et le couteau à poisson. Si le repas commence par un potage, la cuiller trouvera sa place à droite du couteau à poisson ; elle sera, le cas échéant, remplacée par la fourchette à huîtres. On ne met en aucun cas de couverts ou cuillers entre l'assiette et les verres : cela serait une très grave faute de goût, en France du moins. Prohiber également les inesthétiques porte-couteaux, inutiles puisque à chaque plat, on remplacera fourchettes et couteaux ; ceux-ci n'auront donc re reposés sur la nappe, ils resteront dans les assiettes. La tradition française veut que les fourchettes soient présentées les dents piquant la nappe, et non dans l'autre sens, présentant ainsi les armes ou les chiffres dont elles sont gravées. De même, l'intérieur des cuillers est à tourner vers la table, suivant la même disposition. Signalons enfin comme un raffinement de bonne maison la petite assiette à beurre individuelle d'argent ou de cristal, et son couteau, en haut et à droite de la grande assiette, et, pour les grandes réceptions, une assiette à pain placée de l'autre côté. 

Une coutume nordique commence à s'introduire en France, et nous la citerons pour son luxe de bon aloi : nous voulons parler des assiettes dites « de présentation » ; en argent, rond et très plate, de diamètre légèrement supérieur à celui des assiettes de table qui leur sont superposées ; elles resteront devant chaque convive au fur et à mesure des services, et présenteront pendant les changements d'assiettes, le large chiffre ou la gravure d'armes dont elles sont ornées en leur centre. On ne les enlèvera qu'au moment du fromage. A aucun moment, même très court, la place devant un convive ne sera ainsi laissée vide jusqu'au dessert. 

Le centre de la table, destin és à demeurer un élément décoratif permanent durant tout le repas, réclame des soins particuliers et un souci scrupuleux des volumes et des couleurs. Qu'il s'agisse d'un surtout à fond de glace, portant une soupière d'argent ou de faïence ancienne — celle-ci naturellement à titre purement décoratif — que ce soit une corbeille de fleurs ou de fruits, ou une décoration florale animée d'objets variés, la fantaisie de la maîtresse de maison inspirera différemment la composition de ce milieu de table, au gré de son humeur et à la mesure de la réception. Les fleurs devront être disposées avec un goût très sûr, puisqu'elles apporteront au décor de la table leur fraîcheur et la vivacité de leurs couleurs, et l'on évitera les bouquets trop volumineux qui gêneraient entre eux les convives. Elles seront en quelque sorte à la table ce que sont les massifs et les plates-bandes dans la géométrie harmonieuse. 

Un dîner élégant se doit d'être éclairé aux bougies, portées par des candélabres bas en bout de table ou autour du centre. Leurs flammes, composant avec un éclairage électrique discret, dispenseront la chaleur de leur lumière très précieuse à l'ambiance d'une soirée. Elles feront scintiller l'argenterie et les cristaux, jouer la couleur des vins dans les verres ; elles mettront en valeur le teint des femmes et l'éclat de leurs bijoux. Il faudra veiller soigneusement à ce que les bougies soient à hauteur convenable, ni trop élevées ni trop basses, pour éviter des ombres disgracieuses sur les visages ; s'assurer aussi qu'elles ne s'interposent pas entre les convives. Il reste à déterminer, avec symétrie et commodité, l'emplacement des salières, boîtes à épices et moutardiers, ainsi que celui des carafes à eau et à vin s'il s'agit d'un repas intime. Une table très luxueusement dressée et servie ne porte pas de carafes, sinon par intention décorative ; juste avant l'entrée des convives les verres seront remplis d'eau frappée, et les maîtres d'hôtel veilleront à en offrir de nouveau s'il est nécessaire, pendant le repas, entre les différents services de vins. N'oublions pas les serviettes ; sagement pliées, sur les assiettes ou à gauche de celles-ci, elles dissimulent le pain ; elles se refuseront à se laisser dresser en échafaudages compliqués et prétentieux. Une table de dîner n'est pas une pièce montée. 

Tout est prêt maintenant et les places des invités sont désignées par une carte, s'ils sont suffisamment nombreux pour que cette pratique se justifie. Les règles de la préséance ont été observées avec tact pour la distribution des places, sans omettre certaines affinités. La maîtresse de maison supervise une dernière fois sa table ; l'heure approche où les premiers invités vont arriver. 

Service de table

Une belle r éception n'est pas seulement une manifestation d'élégance et d'esthétique. Il faut encore lui assurer le succès que méritent l'éclat de la table et l'art de la cuisine. On ne conçoit pas de bonne maison sans un service qui soit impeccable. C'est lui qui va être l'instrument final de cette réussite. Il va dépendre de lui que le rythme du repas soit assuré avec continuité, sans précipitation, mais aussi sans lenteur et en évitant surtout toute interruption intempestive. Car rien n'est plus préjudiciable à l'ambiance d'une réception qu'un service trop long ou insuffisant. L'exagération inverse ferait d'un repas une espèce de marathon d'où l'on sortirait excédé. Un personnel sans défaut saura « se faire oublier » ; il évoluera en silence, non pas d'une manière mécanique, mais avec une attention constante à tous les besoins des convives. Il faut compter qu'un maître d'hôtel peut assurer le service de six à huit personnes, pas davantage. Sa tenue doit être sobre, il porte les gants blancs ; le personnel féminin est en tablier blanc. 

Lorsque les invit és pénètrent dans la salle à manger par les portes ouvertes à deux battants, on a, au dernier moment, allumé les bougies sur la table. Les maîtres d'hôtel qui se sont effacés pour laisser entre les convives, aident les dames à s'asseoir. 

Celles-ci sont toujours servies les premi ères en commençant par la voisine de droite du maître de maison. Puis vient le tour de la voisine de gauche et de toutes les autres dames par ordre de préséance, la maîtresse de maison étant servie la dernière, mais avant les messieurs pour qui on observe le m ême protocole. On doit servir en présentant les plats par la gauche et desservir par la droite. 

On apporte une par une les assiettes à potage, servies à part, au fur et à mesure, sur une desserte, en les substituant aux assiettes plates qui composent le couvert. Après le potage, on enlève les assiettes creuses et cuillers en les remplaçant par des assiettes plates, sans jamais laisser vide la place devant un convive. Si le mets suivant est chaud, il est indispensable que les assiettes que Ton apporte soient chaudes aussi et cette règle impérieuse sera valable pour tout le repas, ainsi que la nécessité d'en changer à chaque plat. On enlèvera de même les fourchettes et couteaux qui viennent d'être utilisés et on en apportera d'autres, posés à plat sur la nouvelle assiette. La salade se sert dans des assiettes spéciales de cristal, en forme de croissant de lune, qui seront distribuées en temps opportun et placées à gauche des assiettes de table dont elles épousent la forme. 

On pr éférera toujours les plats d'argent, pour une double raison d'esthétique et de plaisir gastronomique, car ils conservent mieux la chaleur des mets et, par là même, en sauvegardent la qualité. Les formes sont multiples et appropriées : plats à poisson, à rôti, à civet, à soufflés, plats creux à légumes, plats à gâteaux, etc. Us s'accompagnent des saucières assorties. Arrivés en droite ligne de la cuisine, ils sont aussitôt servis. On se gardera bien à ce propos d'adopter une pratique que nous voulons voir réservée aux seuls restaurants : celle de « présenter » les plats avant de les passer à chacun des convives. Ce serait un manque complet de discrétion et une faute de goût, même si le plat dressé est un chef-d'œuvre de l'art culinaire. Les invités pourront l'admirer quand le maître d'hôtel le présentera, pour qu'elle se serve, à la voisine du maître de maison; celle-ci ne manquera pas d'ailleurs de signaler le plat à l'attention de toute la table. 

Les plats auront été dressés de telle manière qu'il soit aisé de se servir. Pour les poissons, en particulier, les chairs seront détachées des arêtes, tout en les laissant dans leurs formes. Les viandes, rôtis, volailles ou gibiers, ne' seront découpées à table par le maître de maison — s'il est dans ses habitudes de le faire — qu'au cours de repas très intimes. N'oublions pas de préciser que les plats froids doivent être servis très frais, voire même glacés pour certains. 

Il ne nous appartient pas ici de vanter les m érites des vins, mais de dire comment on honorera leur venue sur la table. Le choix en est généralement l'apanage du maître de maison, qui doit y apporter une science subtile. Il n'en est pas servi avec le potage. Le service du premier vin suit immédiatement celui du premier plat. Le maître d'hôtel le verse par la droite de chaque convive, dans le verre correspondant, aux deux tiers environ de sa capacité, en annonçant discrètement le cru et le millésime. Au préalable, il en aura prélevé à l'office les premières gouttes pour éliminer les particules de bouchon et s'assurer qu'il est sans défaut. Un autre vin est servi avec le plat suivant, dans un autre verre, sans pour autant que l'on enlève celui qui a servi au premier. Les maîtres d'hôtel resteront toujours attentifs, entre temps, à en resservir au gré des convives, sans omettre de vérifier l'eau dans les grands verres. Les vins doivent être évidemment à la température qui convient à leur dégustation : chambrée pour les vins rouges, frappée pour les vins blancs et le champagne. Dans l'intimité, des carafes contenant de l'eau et du vin sont à la disposition des convives et on sert un vin fin avec le plat principal. 

Mais revenons au processus du repas : les fromages sucèdent immédiatement aux plats salés. L'assiette de table va être maintenant remplacée par une assiette plus petite, qui porte une fourchette et un couteau à dessert à lame d'acier. Inutile de préciser que le service est constamment préoccupé entre-temps d'offrir du pain aux convives ; ceux-ci en sont donc pourvus. On renouvelle, s'il est nécessaire, les assiettes à beurre individuelles. Les fromages sont présentés sur des plats appropriés, à fond de glace ou de bois, portant autant de couteaux à fromage qu'il en est offert d'espèces différentes. On ne les sert qu'une fois. Nous avons précisé qu'une fourchette devait être apportée avec l'assiette et le couteau ; bien que son usage, pour manger le fromage, soit peu répandu, il est préférable d'en faire servir, par souci de délicatesse. Il va se produire maintenant une sorte d'entracte très court, prélude à un véritable changement de décor. La table va être débarrassée de tout ce qui a été utilisé pour les services précédents, exception faite, naturellement, de la décoration centrale, et aussi des verres, dont l'alignement est immuable. Les salières, boîtes à épices et moutardiers subissent le même sort que les assiettes, couvertes, assiettes à beurre et à pain. Avec célérité et adresse, les maîtres d'hôtel procèdent à cette opération et passent les ramasse-miettes sur la nappe devant les convives. Puis ils apportent les assiettes à dessert qui avaient été préparées avant le dîner sur une desserte. On trouvera sur ces assiettes un bol rince-doigts en argent ou cristal, contenant de l'eau tiède et une rondelle de citron ; de part et d'autre du bol, un couvert à entremets et deux couteaux à dessert, l'un à lame d'acier, utile pour certaines pâtisseries, l'autre à lame d'argent pour les fruits. 

Qu'il nous soit permis de recommander que le service de dessert soit particulièrement raffiné. Il arrive au moment où l'atmosphère du repas, détendue et égayée par la qualité des mets et des vins et par la chaleur des conversations, doit trouver une correspondance à son euphorie dans le nouveau décor qu'on a constitué. Les assiettes à dessert seront plus belles encore, plus rares et plus décorées. Si une argenterie complète en vermeil est un luxe difficile à soutenir, il est de bon ton que le service de dessert soit fait dans cette précieuse matière, et même l'assiette. 

On distribue également des cendriers individuels. Sur la table, des poudriers à sucre ont remplacé les salières et des plats à gâteau, chargés de petits fours, s'offrent à la gourmandise des convives. Le repas va se terminer par les entremets et les fruits. 

Quelque confiante qu'elle soit dans les qualités de son personnel, une bonne maîtresse de maison aura été constamment attentive, pendant toute la durée du repas, à ce qu'aucune erreur, aucune négligence n'en viennent troubler l'impeccable déroulement. Elle n'en aura pas pour cela négligé ses hôtes, ayant une attention pour chacun, orientant la conversation avec adresse, la déviant s'il est nécessaire, la faisant rebondir aussi si elle vient à languir. Elle ne se lèvera à la fin du repas qu'après s'être assurée que tous ses invités sont prêts à quitter la table, pour se rendre au salon et y trouver café et liqueurs. 

Nous pensons qu'elle n'aura pas m'érité cette appréciation cinglante qu'eut un jour un gastronome, appelé à se prononcer sur la qualité d'un mauvais dîner : « Tout était froid, dit-il, sauf la glace ! » Mais nous voulons nous rappeler ce mot charmant de Mme du Deffand : « Souper est une des quatre fins de l'homme, j'ai oublié les trois autres. » Depuis XVII siècle, les arts de la table ont su conserver leur raffinement et leurs exigences, mais aussi leur plaisir subtil.